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L’odyssée du raï

25 Sep

De l’origine rurale à la scène internationale

Le raï est une musique rurale algérienne née dans les années 30. C’est cette tradition qui lui vaut d’entrer au patrimoine immatériel de l’humanité le 1er décembre 2022.

Il est d’abord véhiculé par des groupes de femmes, les meddahates, qui se produisent lors de cérémonies religieuses. Dans les cafés et les cabarets des bas-fonds des villes, il connaît une mutation profonde : au son des percussions et des flûtes de roseau (gasbas), il chante les plaisirs défendus : l’amour, le sexe, l’alcool.

C’est l’apparition de la cassette en Algérie qui permet son développement malgré sa réputation sulfureuse : écouter du raï est un péché. En Algérie comme dans les quartiers populaires de Paris, Marseille et Lyon, il s’écoute en cachette à la maison et ne sort pas de la communauté maghrébine. Son succès dans les mariages lui donne sa stature de musique nationale.
Dans les années 50, Cheikha Remitti (1923-2006) s’impose comme la reine du raï (Nouvelle fenêtre). Censurée par certains politiques, elle chante l’alcool, le plaisir et le féminisme. Elle restera toute sa vie une inspiration pour les artistes du genre, et deviendra avec le temps l’une des plus grandes chanteuses algériennes.

Cheikha Remitti

Dans les années 70, le raï s’imprègne de différents styles musicaux (rock, pop, funk) et invite de nouveaux instruments (guitares électriques, synthétiseurs,…). Rachid Baba Ahmed (Nouvelle fenêtre) et son frère Fethi composent le premier tube international de raï : N’sel fik, chanté en 1983 par Chaba Fadel et Cheb Sahraoui. Ils sont les premiers à diffuser du raï sur les ondes et produisent des artistes comme Khaled ( Nouvelle fenêtre) ou Cheb Hasni (1968- 1994) ( Nouvelle fenêtre), le « Rossignol » inventeur du raï love ou raï sentimental. Après le succès auprès des jeunes du premier festival raï à Oran en 1985, le gouvernement reconnaît le genre. Suivra un festival à Bobigny en 1986 qui ravira les jeunes issus de l’immigration.

C’est à cette période, grâce à des artistes comme Cheb ( Le jeune) Khaled, Cheb Mami ou Cheb Hasni , que le raï commence à s’exporter. En 1990, le raï est très populaire en France : avec Faudel ( Tellement n’bghick) (Nouvelle fenêtre), Khaled ( Didi) (Nouvelle fenêtre) et Rachid Taha ( Nouvelle fenêtre) ( Ya Rayah, reprise de Dahmane El Harrachi- nouvelle fenêtre) qui s’unissent pour 1, 2, 3 soleils, un album live en 1998 ( Nouvelle fenêtre); Cheb Mami (Parisien du Nord) ou Cheb Kader ( Sel Dem Draï) , il est alors à son apogée.

1, 2, 3 soleils, Ya Rayah, live Bercy 1998

Mais les intégristes haïssent le raï, et à Oran, Cheb Hasni est assassiné en 1994, à l’âge de 26 ans, et Rachid Baba Ahmed l’année suivante. En 1991, éclate en Algérie la guerre civile opposant l’armée et les islamistes qui vont donner une place centrale à la religion. Dans les années 2000, le raï décline. Il disparaît peu à peu de la scène française, entaché par des scandales : Khaled est condamné pour abandon de famille et Cheb Mami, à 5 ans de prison pour tentative d’avortement sur son ancienne compagne en 2009.

Le raï d’aujourd’hui se mêle au reggae, au R’n’B et au rap. L’auto-tune et les boîtes à rythmes l’ont profondément bouleversé. Pour autant, est-il mort ? Non pour Hadj Sameer, réalisateur de la série « Raï is not dead » visible sur Arte.tv, ni pour le groupe Fanfaraï Big Band, dont un album s’intitule: Raï is not dead. (Nouvelle fenêtre)

“Le raï, c’est la femme, c’est l’Algérie, c’est la révolution. Et les révolutions ne meurent jamais.” – Lotfi Attar (Guitariste né en 1952 et fondateur du groupe Raïna raï)

Malika Domrane, la rebelle kabyle.

30 Juin

Malika Domrane est l’une des plus grandes chanteuses kabyles. Musicienne, auteur-compositeur, elle a toute sa vie défendu la cause berbère et la dignité des femmes.

Malika est née le 12 Mars 1956 à Tizi Hibel en Kabylie. Elle fait partie de la chorale de son lycée dont elle est l’âme quand elle compose, à 15 ans, son premier titre , qui fait toujours partie de son répertoire, et qui défend déjà les droits des femmes: Tirgan’Temzi (Nouvelle fenêtre)
Révoltée de ne pas avoir les mêmes droits que les garçons, elle provoque en portant des pantalons et en s’asseyant à leurs côtés au café, ce qui à l’époque fait scandale.

Lorsque le colonel Président Boumediene qui a généralisé l’arabisation en Algérie visite la Kabylie, et notamment Tizi Ouzou, Malika, âgée de seize ans, doit lui offrir, en tant que conductrice de la chorale, un burnous blanc. (Manteau en laine de mouton ou de brebis sans manche, avec une capuche pointue). Comprenant que cette cérémonie symbolisait la soumission et l’allégeance du peuple kabyle au régime d’Alger, elle refuse catégoriquement de s’y soumettre.
Après le succès de son premier album en duo avec Sofiane, en 1979, elle participe activement aux émeutes du « printemps berbère » de 1980. Elle lutte pour l’officialisation de la langue tamazight et la reconnaissance de l’identité berbère. Elle entretient une correspondance assidue avec l’Académie berbère de Paris, et l’écrivain anthropologue Mouloud Mammeri qui lui enverra les chercheurs de France, d’ Angleterre et du Japon qui s’intéressent à la Kabylie.
Au sommet de sa gloire, elle remplit des stades, notamment avec son album Asaru. (Nouvelle fenêtre).

Pendant huit ans, Malika travaille en tant qu’infirmière dans un hôpital psychiatrique pour femmes. Leurs confidences sur leurs souffrances: l’inceste, l’adultère, la stérilité, le machisme nourriront ses textes, comme le prouvent ces quelques titres:
Ajeggig (Fleur du péché), Tammenggurt (la stérile). Elle évoque aussi le droit aux caresses, à la tendresse, au plaisir pour les femmes: Tasumta (l’oreiller), et dresse le portrait des femmes soumises à leur époux et prisonnières des convenances: Asaru (l’objet du désir); Fkiy-ak ssura-w (l’ombre de mon âme). (Nouvelle fenêtre).

En 1994, elle subit des menaces et doit s’exiler en France, loin de ses trois enfants qu’elle ne retrouvera que quatre ans plus tard. Elle y restera douze ans. En 2001, elle soigne des blessés de la répression du Printemps noir opposant des militants kabyles et les forces de l’ordre. En 1998, au Zénith de Paris, elle rend hommage à son ami le chanteur et poète Matoub Lounès enlevé puis assassiné:

Je m’appelle Liberté et je refuse d’obéir. »

Si la « femme courage » n’a plus sorti d’album depuis 1996, elle est toujours présente sur la scène musicale, et c’est avec respect et émotion que le public l’acclame. Je vous propose de découvrir les titres de Malika Domrane sur MusicMe. (Nouvelle fenêtre)


Le meilleur: Musiques et chants de Kabylie (Nouvelle fenêtre)
Top Kabyle (Nouvelle fenêtre)

Les secrets cachés de nos comptines

26 Fév

Nos comptines et chansons enfantines se transmettent oralement de génération en génération. Nos parents nous les ont chantées, comme leurs parents avant eux, comme nous avons pu les entendre aussi à l’école, la crèche ou au centre de loisirs. Mais qui sait aujourd’hui qui les a composées, de quand date leur parution, et surtout, quel est leur véritable signification ?
Je vous propose de découvrir les secrets de quelques-unes de nos plus célèbres comptines
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Aux marches du palais

De nombreux chanteurs célèbres : Édith Piaf, Yves Montand, Marie Laforêt, Nana Mouskouri, Guy Béart ou Dorothée l’ont interprétée, mais elle est très ancienne puisqu’elle date du XVIIIe siècle. Elle connut un succès considérable à l’époque puisqu’il en existait 40 versions. Pourquoi un tel succès ? Pour son double sens érotique.  
En effet, le cordonnier prend possession du pied de la vierge, qu’il glisse dans un soulier. Or, le pied est un symbole sexuel source de fantasmes, et le soulier (on peut interpréter Cendrillon de la même manière) représente évidemment le sexe de l’homme. 
« La rivière est profonde » fait référence à l’intensité promise du plaisir qui ne connaîtra pas de lassitude.

– Aux marches du palais : Romances & complaintes de la France d’autrefois– Le Poème Harmonique | Vincent Dumestre (nouvelle fenêtre), Édité par idol / alpha  – 2001

Chansons de France pour les petits / Hervé Le Goff (nouvelle fenêtre) Édité par Père Castor-Flammarion. Paris – 2009


Au clair de la lune


Le premier enregistrement date de 1860. C’est le plus ancien enregistrement d’une voix humaine, par un ingénieur de l’enregistrement sonore : Édouard-Léon Scott de Martinville. Le texte est publié pour la première fois en 1843 dans les Chants et chansons populaires de la France, de Théophile Marion Dumersan. 
Dans la version originale, il ne s’agit pas de “plume” mais de “lume”, qui signifie “lumière”, ce qui d’ailleurs est plus logique : on voit mal comment une plume pourrait l’aider à rallumer sa bougie. 
Mais il y a un sens caché : “Battre le briquet” signifie frapper la pierre contre le briquet, mais à l’époque il désigne aussi l’acte sexuel. Et on ne prie pas la voisine d’ouvrir sa porte pour l’amour de Dieu, mais pour le dieu d’amour. 
Il s’agit donc d’un homme qui a perdu la flamme et qui demande à la voisine qui en a l’habitude de la lui rallumer.

Jolies chansons d’enfance, vol. 2 : Au clair de la lune… mon ami Pierrot (nouvelle fenêtre), Le Grand Orchestre Du Splendid.Édité par believe / victorie music – 2008

– Au clair de la lune (Mono Version) – Les Petits Chanteurs De Saint-laurent | Abbé P. Zurfluh (nouvelle fenêtre), Édité par believe / the restoration project – 2017

Nous n’irons plus aux bois


Après une épidémie de maladies vénériennes qui retarde le chantier du château de Versailles, situé près des bois où fleurissent des maisons closes, reconnaissables aux lauriers au-dessus de leurs portes, Louis XIV ordonne en 1684 leur fermeture. Or les hommes préviennent : 


Mais les lauriers du bois  
Les laisserons-nous faner 
Non chacune à son tour 
Irons les ramasser


Autrement dit, nous forcerons les femmes qui passeront par les bois. 
La mélodie de cette chanson a inspiré Debussy pour ses Jardins sous la pluie (Estampes).
– Rondes et comptines à chanter et à danser-  Prado, Lauri.  Schneider, Alain (nouvelle fenêtre), Édité par Editions Milan. Toulouse – 2012

– Les petits s’endorment– Gens de Lorraine (nouvelle fenêtre)


Dansons la capucine


Elle a été publiée par Jean-Baptiste Clément en 1868 sous forme de chanson révolutionnaire, parodique et satirique, puis à nouveau en 1885. Elle lui vient de sa grand-mère. La mélodie est une version du refrain de La Carmagnole, chanson révolutionnaire de 1792, après la chute de Louis XVI. 
-Chansons de France pour les petits, vol.2, Hervé Le Goff (nouvelle fenêtre), édité par Père Castor Flammarion, Paris, 2013

-Dansons la capucine (jeux dansés pour les petits, à partir de deux ans), (à écouter en ligne sur le site de La médiathèque via MusicMe – nouvelle fenêtre) Jeannine Coriou, Brigitte Champeaux  Édité par Believe/naïve Jeunesse, 2016.

Une souris verte


Pendant la Guerre de Vendée (1793-1795), on appelait « les souris » les soldats vendéens. La chanson raconte le sort d’un de ces soldats traqués par les soldats républicains et torturé en étant plongé dans l’eau puis dans l’huile bouillantes. 
Une souris verte– Rémi Guichard (nouvelle fenêtre) Édité par Believe / formulette production – 2011

Une souris verte– Xavier Deneux (nouvelle fenêtre). Édité par Milan, Toulouse 2020

Jean-Petit qui danse


En 1643, a lieu la révolte des croquants, les bourgeois des campagnes, qui ne supportent plus les taxes qui pèsent sur eux. Sous l’impulsion d’un chirurgien, Joan Petit, ils se révoltent. Le héros de la chanson est capturé et subit le supplice de la roue : le bourreau lui brise les os de chaque partie du corps l’une après l’autre avec un gourdin. Il ressemble donc à un pantin désarticulé qui danse. 
– Jean Petit qui danse– Martia (nouvelle fenêtre)  Believe/ elver records 2008

Jean Petit qui danse– Charlotte Mollet (nouvelle fenêtre), Didier Jeunesse, Paris 2011

Ah, les crocodiles !


Elle appartient au répertoire des chansons enfantines françaises depuis 1860. Elle est dérivée du Hourra du Crocodile, tiré de la bouffonnerie musicale d’Offenbach : Tromb-Al-Ca-Zar ou les Criminels dramatiques. 
Elle raconte l’histoire d’un crocodile en Égypte, qui part en guerre contre les éléphants. Il y va à reculons, en traînant les pieds, et dès qu’il se retrouve face au premier ennemi, il fuit ! 

-Total hits kids 2012– Les Dagoberts (nouvelle fenêtre), LM Music, 2012

-Mes comptines à danser/ Ill. Aurélie Guilery, mis en musique Laurent Pradeau (nouvelle fenêtre), Seuil, Paris 2015

Colchiques dans les prés


Composée en 1943 par Francine Cockenpot (1918-2001), elle s’est diffusée dans le scoutisme (au même titre que 800 de ses autres chansons), et coproduite par Jacqueline Debatte (1914-2004). Francis Cabrel, en 1977, et Dorothée en 1982 en proposent une version. 
Victime d’un cambrioleur qui la laisse pour morte, Francine Cockenpot perd un œil. En 1986, elle publie l’Agresseur, un texte sur le pardon. En 1990, elle reçoit le Prix Mondor de L’Académie Française pour son recueil de poèmes Le soir venu
Le mot « Colchique » vient de la Colchide, région au bord de la mer Noire. Selon la mythologie grecque, c’est là que vivait Médée, magicienne connue pour ses meurtres par empoisonnement par des plantes toxiques, dont le colchique, appelé aussi « tue-chien ». A partir du XVe siècle et jusqu’à aujourd’hui, son poison sert d’anti-inflammatoire contre la goutte. Le colchique, violacé, fleurit en automne. 
Au pays des papas: chansons enfantines en bossa– Didier Sustrac (nouvelle fenêtre), Zinzin Production 2009

-Tourneboule (nouvelle fenêtre)– Enfance et Musique, 1994

Comme vous pouvez le constater, les comptines ont un double sens : soit elles parlent de guerre, soit elles parlent d’érotisme. Pourquoi sont-elles alors célèbres pour être transmises aux enfants ? À cause des veillées : pour n’avoir à chauffer qu’une pièce et pour se distraire tous ensemble, générations confondues, on se réunissait dans le salon et on se racontait des histoires ou on chantait. Le double sens permettait aux adultes de comprendre le vrai sujet de la chanson, sans choquer les enfants.


À présent, il est à parier que vous n’écouterez plus les comptines de la même manière, n’est-ce pas ?